« Femme, femme, femme »
La nouvelle galerie casablancaise « Chilham » (205, Bd Mostapha El Maani) inaugure son cycle des événements artistiques et culturels par l’exposition individuelle de l’artiste plasticien Abdel-Ilah Chahidi dont le vernissage a eu lieu le mardi 16 juin courant à 18h30.
Placée sous le signe « femme, femme, femme », cette exposition nous invite à contempler les facettes les plus représentatives de la peinture onirique de l’artiste peintre qui s'inscrit dans une actualité intemporelle.
Chahidi le magicien
L’art pictural d’ Abdel-Ilah Chahidi a suivi dès le départ un cheminement personnel, marqué par une sérieuse et continuelle prospection des formes et une expérimentation/instrumentalisation scrupuleuse des couleurs. Sur ce plan, en plus d’une maîtrise du dessin acquise à titre préliminaire, il a développé une sensibilité aux tons et aux nuances aujourd’hui digne d’admiration parce que d’une grande délicatesse.
Le sens d’observation qu’il accorde à ses formes, aussi bien à propos de ses représentations de la femme qui est son thème essentiel : son visage, ses yeux, son corps dont la nudité vise surtout à sa plastique (lignes courbes, mouvantes, rampantes, indéfinies, etc.), ainsi qu’à celui d’autres motifs « réalistes » (la colombe, les papillons…), anime sa composition d’une foule de vibrations lumineuses et révèle au regard les soubassements d’un imaginaire en perpétuelle exultation.
Comme chez François Rouan artiste connu pour son amour excessif du détail peint jusqu’à saturation, Chahidi travaille ses fonds à coups de touches et de jets de lumière qu’il soumet à des calibrages singuliers. C’est à une véritable opération de fouilles qu’il s’attelle, comptant sur les hasards anecdotés de la matière, ses impacts minéraux et les brillances tactiques qu’elle génère. Le traitement du fond concerne tout l’espace de la toile, une sorte d’all over concerté, entamé de manière stratégique et dans une concentration tensionnelle ; on sent que l’artiste va au devant de tous les risques du métier : maladresse, improvisation, impertinence…, mais qu’il finit toujours par en triompher. Prise à l’état brut la matière, il le sait, est rétive et il faudra à Chahidi toute sa finesse sensitive pour la plier à ses exigences créatives. Le grand artiste français Gérard Garouste ne procède pas autrement. Comme Chahidi, il sait que l’œuvre d’art est par hypothèse un monde clos dont il s’agit de lever un à un les voiles qui l’occultent. L’élément « intuition » est alors de mise pour en pénétrer les arcanes et la rendre « visible » au sens où l’entendait Paul Klee.
L’œuvre de Chahidi se donne ainsi comme une suite d’essais portés par la même passion, essais d’une vaste entreprise de découvertes et de démystification (au sens de dévoilement). Démystification d’une femme particulièrement présente, inspiratrice majeure, à la fois fuyante et métamorphique - ce qui est un de ses attributs symboliques - ; surtout démystification de sa genèse : femme apparemment surgie d’un conglomérat de matières liquides, minérales, végétales, d’étranges sédimentations amorphes qui restent toutes emblématiques, auxquels l’artiste insuffle vie et sens. Ce qui nous vaut cette panoplie de figures et d’attitudes pleines d’énergies fantastiques, ces couleurs rares qui chatoient, innervées d’ondes lumineuses, irradiantes, ces rapprochements surréalisants de contrastes, « conflits de matières » comme les qualifie Chahidi. De sorte que certains tableaux vus le jour voient leur aspect complètement transformé la nuit, affichant de nouvelles gammes encore plus denses. Spectacle d’alchimiste, mu par une technique dont seul l’artiste connaît le fin mot. Une technique exceptionnelle à voir à la nouvelle galerie casablancaise « Chilham » (205, Bd Mostapha El Maani).
Abderrahman Benhamza ( poète et critique d’art)
Entretien avec Ilham Elmedhos Vantieghem , directrice artistique de la galerie « Chilham » à Casablanca :
Un rêve qui devient une réalité
La nouvelle galerie casablancaise « Chilham » a inauguré récemment son cycle des événements artistiques et culturels par l’exposition individuelle de l’artiste plasticien Abdel-Ilah Chahidi. Placée sous le signe « femme, femme, femme », cette exposition nous invite à contempler les facettes les plus représentatives de la peinture onirique de cet artiste peintre qui s'inscrit dans une actualité intemporelle. Il s’agit d’une nouvelle mythologie qui revisite les rêves et les archétypes de notre conscient collectif, en présentant les symboles métaphoriques (poissons, sirènes, papillons, chevaux, bougies, livres, violons …) comme des images emblématiques qui transcendent les histoires et les cultures spécifiques. Il a pu inventer une nouvelle façon, méditative, de peindre, que la critique esthétique définit comme peinture en champs de couleurs et de figures insolites qui se métamorphosent en fonction de cette dualité « jour et nuit ». Entretien avec Ilham Elmedhos Vantieghem
, directrice artistique de la galerie « Chilham » (205, Bd Mostapha El Maani) :
Comment est née l’idée de cette nouvelle galerie à Casablanca ?
L’idée de la galerie « Chilham » est née d'un rêve d’enfant autour d’un cirque. Au fil des années, ce rêve et le cirque grandissent au point de prendre toute la place. Et là, le rêve devient réalité! Peinture, sculpture, design d’objet, littérature et d’autres pratiques créatives se mettent à vivre ensemble dans ce lieu mythique qui est le cinéma « Eden club » : un carrefour incontournable représentant les bons souvenirs de la jeunesse casablancaise des années 70. Le nouveau concept de cet espace interdisciplinaire allie art et culture, authenticité et modernité, création et créativité. Il est ouvert à tous les passionnés et les fans de la création, tous styles et tendances confondus. Il s’agit d’un espace dédié à la promotion de la culture artistique dans sa diversité et sa singularité. Un véritable hommage à l’art au pluriel et aux créateurs modernes et contemporains.
Abdel-Ilah Chahidi et sa femme entourés de Christian Vantieghem et Ilham Elmedhos Vantieghem
Dans quel cadre s’inscrit la politique artistique de cette galerie ?
Notre galerie s’inscrit dans une démarche participative motivée par une sensibilité forte à la richesse de notre mémoire visuelle, et s’inscrit ainsi dans une vision de valorisation de notre capital immatériel. Cette démarche interactive repose sur deux volets complémentaires : volet des expositions permanentes et temporaires et un autre volet riche en activités pédagogiques et socioculturelles. Le but majeur de la direction étant de faire connaitre notre richesse artistique et de faire valoir notre potentiel créatif, tout en contribuant à l’essor des arts visuels d’ici et d’ailleurs.
Pour démarrer cette aventure, M. Christian Vantieghem, président fondateur de l’espace, a bien voulu entamer les actes de cette nouvelle galerie par l’exposition des œuvres de l’artiste peintre Abdel -Ilah Chahidi.
Comment vous défendez ce choix artistique ?
Nous sommes convaincus que son langage envoutant de l’artiste peintre Abdel-Ilah Chahidi s’inscrit dans une dynamique d’innovation et de renouveau en termes de picturalité et de plasticité, tout en gardant la noblesse académique de la pratique picturale. L’idée étant de valoriser davantage cette peinture de haute facture, qui fait la fierté des arts plastiques d’ici et d’ailleurs. La qualité de son univers visuel rime si bien avec la qualité de notre espace patrimonial qui se veut un lieu d’ouverture, de retrouvaille, d’échange et de partage : une plate forme interculturelle et polyvalente animée par une grande bibliothèque pour développer le culte de la lecture, des ateliers d’initiation aux arts plastiques, des rencontres littéraires et des projections audiovisuelles pour les cinéphiles.
D’ailleurs, pour illustrer parfaitement cette vision transversale, la Galerie« Chilham » est aménagée telle une demeure de la mémoire avec différents espaces autonomes. C’est une galerie de tous les arts. Pour nous, cet espace n’est qu’envie, émotions et bonheur.
Propos recueillis par Hassan Nour (critique d’art)