Le droit de rêver
Antiquaire et passionné d’art au pluriel, Mohamed Kharbouch (vit et travaille à Rabat)
présente des travaux oniristes où l’acte pictural perd sa fonction de moyen privilégié de reproduction de la réalité objective ce qui renforce sa composante subjective et lui permet progressivement de s'affranchir des normes.
Ses tableaux-récits se veulent la projection d'une sensibilité créative qui tend à retenir l’essentiel de la réalité pour inspirer au spectateur une réaction émotionnelle. Les représentations sont souvent basées sur des visions optimistes, chantant et stylisant les valeurs nobles de la réalité pour atteindre la plus grande intensité expressive.
Ce sont le reflet imagé de la vision humaniste que l’artiste a de son époque, hantée par le les rêves et les fantasmes. Kharbouch met souvent en scène des symboles enfantins et des scènes familières revendiquant le droit de vivre dépassant le conformisme des représentations figuratives conventionnelles.
L’artiste ne s'attache plus à la réalité objective et la soumet à ses états d'âme. Elle
rompt avec la reproduction stérile à travers des formes et des atmosphères très expressives : des couleurs intenses et chaudes, des gestes abondants et des graphismes symboliques. Le travail de Kharbouch s'inscrit alors dans la continuité à la fois de l’expressionnisme et de l’art brut dont l’inspiration devait couler libre et donner expression immédiate aux pressions émotionnelles de l’artiste.
Sa démarche plastique se préoccupe moins des aspects formels et se centre plus sur la mise en relief du primordial que sur les détails, façonnant son sentiment de la nature et de la réalité et son inspiration de caractère psychologique et instinctif, éléments qui ont fait de cette artiste autodidacte et maitre artisan (la sculpture sur bois) un peintre oniriste par excellence.
La poétique naïve et spontanée se définit comme l’intensité de l’expression lyrique dans laquelle l'échappatoire tendait non pas vers le monde sauvage mais vers la spiritualité de la nature et du monde intérieur. Pour Kharbouch, la peinture devait s'étendre de la pesante réalité matérielle jusqu'à l'abstraction de la vision pure, avec la couleur comme moyen et les jets gestuels comme effets et traces. Réalité introspective, la plasticité dans les œuvres récentes de cet artiste et collectionneur se veut un monde en soi, une nouvelle forme d'être, qui agit sur le spectateur à travers la vue et qui provoque en lui de profondes expériences spirituelles.
Convaincu que l'art pouvait capter le sens créatif de la nature, Kharbouch rejette l'abstraction absolue en réfléchissant sur l'art néo-figuratif et délaissant toute activité qui ne s'occupe pas des temps perdus de notre réalité contemporaine. Sa peinture nous rappelle ce que disait George Albert Aurier, poète et critique d’art français, dans un Mercure de France de 1891 :
« L’œuvre d’art devra être premièrement idéiste, puisque son idéal unique sera l’expression de l’idée, deuxièmement symboliste puisqu’elle exprimera cette idée en forme, troisièmement synthétique puisqu’elle écrira ses formes, ses signes selon un mode de compréhension général, quatrièmement subjective puisque l’objet n’y sera jamais considéré en tant qu’objet mais en tant que signe perçu par le sujet, cinquièmement l’œuvre d’art devra être décorative. ».
Ainsi le symbolisme abondant de Kharbouch est une réaction au naturalisme. Il s'agit de « vêtir l'idée d'une forme sensible » et de rechercher une impression, une sensation et un clin d’œil qui évoque un monde idéal et privilégie l'expression des états d'âme, et ce pour atteindre la réalité supérieure de la sensibilité.
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Mohammed Kharbouch ou l’attachement aux racines
Mohammed Kharbouch a derrière lui une longue histoire d’amateur d’art et d’artiste peintre. Cet homme héritier d’un patrimoine familial ressourcé dans l’architecture et la décoration traditionnelles, a toujours considéré la création artistique, sa culture et son impact social comme un fait de civilisation indéniable. Depuis plusieurs années, il suit tout ce qui touche de près ou d loin à la chose artistique : expositions, discours critique, marché de ventes et autres manifestations du genre.
Comme artiste peintre, il a élaboré une manière de style qui l’inscrit dans une picturalité géométrique à connotation architecturale. Les motifs qu’il peint confinent à l’arabesque, la rosace, au losange et autres figures symboliques arabo-musulmanes, avec une prédominance du mouvement et une technique d’imbrication des formes. C’est un décoratif abstrait qui aime s’exprime par allégories et métaphores interposées.
Le papier reste le support de choix, il virtualise les teintes et présente un fond similaire au plâtre ou à un mur chaulé ; c’est un absorbant sélectif et efficace, qui donne aux encres ainsi qu’à la gouache un surplus de vitalité, partant de visibilité, en en dénaturant à bon endroit, légèrement, la teneur chimique.
Dans son atelier à Rabat, Mohammed Kharbouch cumule les expériences graphiques et chromatiques, veillant à la qualité prégnante de la couleur. Il incruste les formes dans une trame stylisée, valorisant les motifs comme s’il s’agissait d’une tapisserie. Chaque détail est mis en connivence et l’ensemble finit par former une ossature solide ; c’est un travail d’ourdissage délicat, qui verse dans la contemplation ou la stimule, un travail répétitif à souhait, à travers un jeu serré d’expressions/variantes, de signes et de figures nées de l’imagination de l’artiste.
Jaloux de son art en particulier, de l’art en général, M. Kharbouch compte organiser prochainement un congrès national sur la situation de l’art plastique au Maroc. Y seront certainement conviées toutes les personnes motivées, amateurs, connaisseurs, spécialistes, pour débattre de la problématique des faux qui circulent a foison ces derniers temps, du rôle de l’expert dans ce domaine, du marché qui prend de plus en plus d’ampleur, et d’importance dans la promotion artistique, etc.
Un congrès qui sera le bienvenu et qui ne manquera pas d’impacter sur la scène culturelle et plastique du pays.
Abderrahman Benhamza(critique d’art et poète)
Profil plastique
Mohamed Kharbouch
La peinture comme sixième sens
Mohamed Kharbouch est né à Marrakech en 1948 ; il est issu d’une grande famille de maâlems plâtriers dont il a hérité le savoir faire et le don qu’il a mis au service de la décoration de hauts lieux nationaux et internationaux : palais, demeures seigneuriales, ryads et mosquées. Installé à Rabat depuis des décennies, il expose en permanence dans sa propre galerie La Fontaine du Patio. Référencé, son nom figure dans le livre d’André Pacard sur l’architecture marocaine. Mohamed Kharbouch a par ailleurs donné plusieurs expositions à travers le Royaume.
De tendance semi-abstraite, la peinture de cet artiste à la fois collectionneur et mécène trouve des résonances plus ou moins lointaines dans l’artisanat, avec des percées figuratives disséminées et sans prétention démonstrative, comme un reflux elliptique du réel sur la surface du support ; tout au moins fait-elle y penser par ses multiples formes géométriques, ses courbes, ses entrelacs et ses dessins imbriqués que l’artiste assemble en un mélange spécifique.
Kharbouch concentre sans doute l’essentiel de sa démarche sur un espace optique ramassé, les œuvres se présentant chacune comme un bloc compact aux contours d’aérolithe, d’un aspect baroque dénotant une expression de mouvement qui engendre une impression de construction solide et presque rédhibitoire.
Il faudrait suivre attentivement la main de l’artiste pour pouvoir circuler à l’intérieur de cette géographie de formes apparemment miniaturisées, pour y déceler des tons et des touches évoquant des motifs traditionnels enracinés, ouvragés comme sur des tissus ou sur du cuir, à usage décoratif.
Mohamed Kharbouch déploie les fastes d’une imagination quasi labyrinthique, dont il circonscrit les débordements à l’aide de lignes-contour, de traits curvilignes, - cernant des espèces de cocons peints, réunis dans des juxtapositions serrées, comme dans une tapisserie. Une imagination libre d’attaches, développant au petit bonheur des instances narratives liées à la mémoire et ayant la fraîcheur et la spontanéité des fabulations enfantines.
D’ailleurs, chaque œuvre présente, par ses configurations agglomérées, l’image d’un jeu mystérieusement composé et artistement complexifié. Nul point de fuite apparent, mais un étrange produit condensé, des subtilités chromatiques confinant au trompe l’œil.
Kharbouch travaille sa peinture de l’intérieur, installant tout un arsenal de détail à partir duquel se définissent les formes et ce à quoi elles renvoient. Sa stratégie s’assure à créer des énergies et des rapports de sens pas forcément pensés sur le champ, que les tons harmonisent en un rendu éloquent…
Voici d’onc une peinture qui tourne complément le dos au miroir. Tout en y étant, l’artiste donne la nette impression de n’y être pas du tout. Le rapport au contenu est purement intuitif et se garde de tout révéler. Une intuition particulière, où se résumerait toute la subjectivité du créateur, un
Créateur authentique d’œuvres insolites par leur irrégularité volontaire, leur composition d’agrégats plastiques à la topologie centralisée et, de la sorte, bien mises en évidence.
Abderrahman Benhamza
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